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J'improvise sur le clavier...
Soudain, l'écran devient tout noir,
comme s'il se noyait dans l'encre. (Aujourd'hui, les écrivains ne
font plus de brouillons. Il se murmure même que le stylo à plume
vivrait ses dernières heures.)
Je
dois me libérer, lancer des solos... J'écris sur un miroir – il y
a peut-être quelqu'un derrière qui voudra me lire. (Je me demande
si ce quelqu'un est prisonnier ou s'il a traversé de son plein gré.
Je me demande si c'est un curieux ou s'il a voulu s'échapper.
J'imagine un labyrinthe de verre et des odeurs capiteuses. Depuis une
minute (ou deux ou même trois), j'ai l'impression de deviner un
visage, mais je ne discerne pas encore si c'est un homme ou une
femme. Je le saurais peut-être demain ou bien jamais. Demain,
j'aurais peut-être d'autres chats à fouetter.)
Il
faut être étrangement vicieux (et lâche) pour fouetter un chat. Le
mien est vieux, je crois qu'il devient sénile. Il miaule toute la
journée. Il a souvent soif, mais refuse de boire dans un bol,
préférant l'eau de la douche. Il y a quelques mois encore, il
lapait dans l'aquarium des poissons japonais. Je crois qu'ils sont
morts de trouille. Je ne me voyais pas garder un aquarium vide. (Il
fut une époque où je collectionnais les photographies (désormais,
tout le monde écrit « photos », mais j'ai horreur de couper la
tête (ou, plutôt, les jambes des mots) d'écrivains posant avec
leur(s) chat(s). Je n'ai jamais rien collectionné concernant les
poissons japonais. Pourtant, j'ai beaucoup collectionné dans ma vie.
Je ne me demande pas ce qu'en penserait un psychiatre.)
La
nuit est tellement calme qu'elle donne envie de hurler ou de jouer un
album d'Albert Ayler (cet abruti d'ordinateur a souligné le nom de
ce génie qu'il ne connaît pas ; par contre, si j'écris le nom
d’Adolphe Hitler, il ne souligne rien – je vous laisse en tirer
les conclusions que vous voudrez...)
Je
suis certain qu'il existe des disques avec les discours d'Hitler. Il
va falloir que je change de sujet, sinon, je vais encore slalomer
dans le cauchemar jusqu'au petit jour.
Je
suis persuadé d'avoir déjà serré la main de gens votant pour
quelque nazillon (main qui aura peut-être servie à une séance de
masturbation devant la sextape de Marion Maréchal (« nous
voilà » !)-Le Pen). Quand j'étais adolescent, j'ai embrassé la
fille d'un ministre de François Mitterrand (l'ordinateur connaît
Mitterrand) ; j'adorais la fraîcheur de sa peau et l'odeur de ses
cheveux, mais ça ne m'a pas poussé jusqu'aux urnes. (Un jour, un de
mes amis a croisé Mitterrand dans une librairie, il venait de
s'offrir l'édition originale de Lolita.)
Je
possède quelques grands papiers, mais ils sont comme égarés
au milieu des livres de poches. Je ne m'en formalise pas, l'essentiel
tient dans le mot, pas dans le vélin.
Une voiture glisse dans la nuit
tellement calme.
Demain matin, je lirai un poème de
Kobayashi Issa (inutile de vous signaler que l’ordinateur ignore
cet autre génie), un seul, pioché au hasard, avant de prendre ma
douche. Ensuite, je fumerai une cigarette en espérant apercevoir la
fleuriste...
Jimmy Jimi (2014)
[Illustration : Ciel nuageux (et venteux) à la tombée de la nuit par Echiré]